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         Je vais pour ma part évoquer les problèmes liés aux bâtiments. Le CSPS est bien entretenu mais il y à des problèmes de fuites d'eau sur une toiture. L'installation électrique du dispensaire et des logements des personnels est défectueuse. Nous retrouvons les mêmes problèmes électriques avec les écoles d'Elinga et Kerbolé. De plus à Elinga se pose un problème sur la toiture d'une classe qui est très endommagée.

         Je dois en préalable à toute discussion rappeler que les bâtiments ne nous appartiennent pas. L'école à été construite bien avant notre première visite dans ce village. Elle fut d'ailleurs à l'origine de notre première intervention puisque nous avions constaté que le toit d'une classe s'était envolé (c'est précisément celui qui est endommagé aujourd'hui). Nous constations que l’État Burkinabé n'intervenait pas, au motif que le bâtiment avait été construit par une association étrangère. Par ailleurs nous avons eu la surprise cette année de découvrir la construction d'une nouvelle école, réalisée à l'identique par l’État et à quelques mètres de celle déjà existante, Cette construction de bien meilleure qualité que la précédence pose la question de notre intervention sur les anciens bâtiments. Il en va de même pour les bâtiments du CSPS, puisque nous avons remis les clés au autorités du Burkina et que les locaux ne nous appartiennent plus.

         Pour ce qui concerne l’électricité, c'est principalement les batteries qui semblent défectueuses, mais il y a aussi quelques problèmes sur les installations. En effet le câblage étant déployé dans les faux plafonds il est régulièrement détérioré par les souris. Il y a sur l'ensemble des installations, des problèmes d’éclairage (ampoules grillées) et de batteries hors service, en raison de la charge simultanée de téléphones portables ou autres appareils électriques.

         Afin d'alimenter nos réflexions il est nécessaire de faire un point technique sur ces installations domestiques.

         Le système solaire photovoltaïque le plus courant en milieu rural est le système solaire domestique, constitué d’un panneau solaire relié à une batterie et à un contrôleur de charge. Il comporte au moins une lampe et une prise pour alimenter d‘autres appareils électriques tels que la radio, ou le chargeur du téléphone cellulaire (ce n'est pas le cas à Elinga où les personnels branchent directement plusieurs appareils sur une batterie). Ce type d’appareil est le plus connu en Afrique et également le plus demandé mais aussi le plus cher et le plus fragile.

         La durée de vie d’une batterie est très variable suivant sa qualité. La simple batterie de véhicule (la plus couramment utilisée au village) aura une durée de vie de moins d’une année si on l’utilise pour du solaire. Une très bonne batterie solaire peut durer jusqu’à 10 ans mais elle coûte très cher (3500 à 4500 euros). Elle est économique à l’usage mais l’investissement est lourd. Trop lourd pour la plupart des particuliers. On peut dire qu’une batterie moyenne ( 2000 à 3000 euros) va durer de 5 à 7 ans si elle est bien entretenue.

         La capacité d'une batterie solaire (appelée aussi batterie à décharge lente) se mesure en ampères heure (Ah). Elle représente le "débit" potentiel de la batterie. Mais il faut ajouter à cela la vitesse de décharge de la batterie qui a un impact sur la capacité : plus la rapidité de la décharge est importante, plus la capacité réelle de la batterie sera faible.

         Pour le dire autrement plus on branche d'appareils plus elle se décharge vite. Mais attention, dans une installation photovoltaïque, cette capacité n'est qu'une base de travail, car il est hors de question de décharger une batterie à 100% : cela la détruirait. On ne devrait avoir qu'une décharge possible de 40% (jusqu'à 50% maximum), afin de ne pas endommager la batterie et de prolonger sa durée de vie. On ne sait pas si les utilisateurs des installations au village sont formés pour ce type d'utilisation.

         Dès lors se pose la question suivante ? : sommes nous condamnés, tel Sisyphe, à remplacer éternellement les matériels détériorés ?

         Face à cette question nous pouvons envisager plusieurs réponses. Tout d'abord pour ce qui concerne les logements des instituteurs et des personnels soignants, il y a la possibilité de les impliquer individuellement. En effet, à la question : est ce que le système électrique fonctionne chez vous ? Un instituteur nous dit : non l'ampoule est grillée ! Nous lui demandons pourquoi il n'en n'achète pas une et il nous répond parce que l'installation n'est pas à moi !

         Nous avons eus le même sentiment lorsque nous sommes allés déballer le cabinet d'ophtalmo à Ouaga. Comme des éléments ont été dispersés (et égarés) par notre transporteur, lors de la livraison des appareils (il y a un an), les responsables de l’hôpital n'ont pas voulu déballer le reste en dehors de notre présence. Ils ne se sentaient pas totalement propriétaires malgré la convention que nous avions rédigée avec eux.

         Pour revenir au village, nous avons convenu avec l'ensemble des personnels que s'ils habitaient en ville, pour avoir l'électricité ils devraient avoir un compteur et payer la consommation. Nous avons lancé l'idée, qu'après que nous ayons vérifié le bon fonctionnement de l'installation, l'achat d'une batterie et d'ampoules serait à leur charge s'ils souhaitaient avoir l’électricité.

         Pour ce qui concerne les bâtiments, nous avons vu au Burkina l'apparition de systèmes d'éclairage autonomes. Il s'agit d'équipements mobiles et portatifs (on élimine ainsi le problème du câblage), il sont utilisés ponctuellement dans les lieux où l'on en a besoin (salle de classe pour une séance nocturne ou maternité pour un accouchement). Ils sont déplaçables avec pour certains des lampes autonomes mobiles munies de LEDS, donc avec un fort pouvoir de luminosité et une autonomie importante. Il faudra choisir dans les mois qui viennent le système le plus adéquat aux besoins du village.

         Autre problème rencontré au village, celui de l'exacerbation de rivalités entre les villageois, dues à nos intervention. L'histoire remonte à deux ans, lorsque les autorités sanitaires nous ont indiqué que s'il y avait une nouvelle habitation construite, un deuxième infirmier pourrait être nommé. Devant notre hésitation à nous prononcer sur l'engagement d'une telle dépense, les villageois nous ont proposé de construire eux même la maison et nous ont demandé de les aider en fournissant les tôles de toiture, les portes et les fenêtres.

         Aujourd'hui la maison à été construite par les villageois et terminée grâce à notre engagement financier. Cependant certains semblent penser que nous avons payé la totalité du bâtiment mais qu'une partie de l'argent a été utilisé au bénéfice de certains. Ils disent qu'eux ont travaillé sans être payés. Ils remettent même en cause leur participation à la construction du CSPS, pour laquelle de nombreux villageois (des femmes comme des hommes) ont travaillé à l'édification des fondations.

         Pour comprendre et éclaircir le fond de ces querelles, nous avons pris part à deux grands palabres de plusieurs heures avec les autorités du village. J'ai rappelé à cette occasion la nature de nos engagements, les objets de nos financements et leur contrôle auquel nous étions soumis ici en France. J'ai évoqué le fait que nous payions nous mêmes nos billets d'avion pour venir au Burkina.Je me suis même un peu fâché en précisant que nous, étrangers, nous n'avions pas besoin de centre de santé et nous étions très bien soignés en France et si nos interventions apportaient la discorde entre les membres du village, nous pourrions très bien tout arrêter. Enfin j'ai précisé que leur participation aux différentes constructions était le symbole d'un engagement réciproque matérialisé par la création sur place de l'association « Nessandoua », qui signifie je le rappelle « aide toi toi même ».

         Au final nous avons compris que d'une part les reproches entre villageois, reposaient sur des événements familiaux remontant parfois à plusieurs générations. Et d'autre part que le sentiment de jalousie était alimenté par le fait que certains recevaient une aide extérieure par des membres de leur famille vivant à la ville ou à l’étranger. J'ai indiqué que le meilleur moyen d'être aidé et préparer ses vieux jours, consistait à envoyer leurs enfants à l'école.

         Pour l’anecdote, le soir même des représentants du chef du village sont venus m'offrir une chèvre et trois poulets.

         Nous voyons une fois de plus que ces questions nous invitent à la réflexion et à la définition de nouvelles stratégies pour nos interventions. Plus largement cela pose la question de la participation des habitants, de leur adhésion et de leur appropriation des processus mis en œuvre. Plusieurs personnes, impliquées dans le développement, que nous avons rencontrées au Burkina, nous ont dit : « mais vous avez déjà fait beaucoup pour ces villages, il faut aussi que eux même se prennent en charge, il faut sortir de l'assistanat ».

         En effet l’assistanat démontre que l’on ne peut pas faire à la place des gens…Vous souvenez-vous de cet ingénieux système, le « play-pump », qui consiste à installer une pompe dans certains villages africains et de les relier à des tourniquets? Le principe est simple : les enfants s’amusent et la taille du tourniquet, adapté à la taille des enfants, permet de pomper l’eau. Cette idée est géniale car elle permet d’utiliser les lois de la physique (démultiplication des forces grâce au diamètre du tourniquet). En plus, il vaut mieux être assis et pousser avec les jambes que de tourner avec les bras! Plusieurs millions de Dollars ont été investis pour aider les populations à accéder à l'eau. Le projet a été abandonné parce que les femmes ne s'en servent pas quand il n'y a pas d'enfants...          Bien que l’eau soit un enjeu pour un village l’on apprend que les hommes de ces villages ne s’en soucient pas, puisque ce sont les femmes qui s’en occupent, et que ces dernières ne veulent pas monter sur un tourniquet car pas adapté à leur taille et à leurs usages….

         Ceci est assez révélateur du fait que « faire à la place » sans réellement prendre en compte les populations locales conduit inexorablement à des échecs. En effet comme le soulignent certains Africains eux même, bon nombre de grands projets en Afrique n'ont été que des "cathédrales dans le désert". Ils ont coûté cher et induit des charges récurrentes difficiles à supporter par les bénéficiaires. On tente aujourd'hui de sortir des ornières du passé par de nouveaux programmes et de nouvelles approches. On constate notamment l'émergence et la multiplication de “micro projets” de développement issus d’initiatives très diverses, souvent associatives. De grands espoirs se fondent, sur ces micro-réalisations. On reconnaît désormais qu'un projet de développement est un ensemble d'actions limitées dans l'espace et dans le temps. Et la vraie mesure de sa réussite réside dans les changements durables et autonomes qui continueront de se produire auprès des populations après que l'aide et les acteurs extérieurs se soient retirés. Bref dans l'appropriation par les acteurs locaux du changement effectué.

         Mais mais trop souvent hélas l'appropriation constitue la pierre d'achoppement de ces micro projets. Cette appropriation devrait se traduire par une dynamique durable d'implication et d'auto-animation. Autant nous devons aider les plus démunis à avancer, autant nous ne sommes pas là pour compenser leurs défauts ou leur refus de faire face.

         C'est sur cette dynamique que nous devons travailler au village. Car passer de l'assistance à l'aide au développement est sans doute un enjeu majeur pour la poursuite de nos actions. On sait que le développement passe par la santé et l'éducation, c'est ce dans quoi nous sommes déjà engagés. Mais il repose aussi sur un développement de l'agriculture (miel, élevage ?), sur le désenclavement (route, pistes ?), l’émergence de petits commerces, voire sur une forme d'activité touristique (lieu d'accueil ?). Au village nous devons identifier des acteurs souhaitant s'impliquer dans ces axes de développement.

         Par ailleurs, hors du village, nous sommes sollicités régulièrement par différentes personnes ou groupe de personnes pour les aider à concrétiser leurs projets (élevage de porcs, structure d'accueil touristique, micro fabrique de yaourt, école de cuisine, etc). Nos interventions pourraient dans ce contexte se situer sous la forme d'une aide à la structuration de ces projets. C'est à dire dans leur mise en forme, par exemple (aide à l'étude de l'environnement et étude du marché), détermination d'un modèle économique, initiation à la gestion et élaboration budgétaire (budget prévisionnel), rédaction d'un plan d'affaire, identification des financements, choix du statut juridique. Bref à tout ce que l'on place dans le terme général de « l'aide aux porteurs de projets ».

         Il est maintenant reconnu que le problème majeur du développement est moins celui du simple transfert de moyens matériels que celui de la transmission des processus des connaissances. Ce qui signifie en termes simples, que l'on peut aider des porteurs de projets par un accompagnement reposant sur de l'expertise et de la formation.

         Nous situer dans le champs de la formation et de la création d'entreprise ou simplement d'activité, nous engagera moins dans le temps et nous permettra de sortir de cette « position de Sisyphe » dont nous avons du mal à nous départir. C'est une nouvelle dynamique sur laquelle nous devons réfléchir pour pouvoir y engager l'association.

         Nous avons vu l'an passé que l’économie des pays africains est caractérisée par la coexistence d’un secteur formel et d’un autre dit informel. Ce secteur occupe, selon les pays et les zones urbaine ou rurale, 70 à 80 % de la population active. Aujourd’hui aucun domaine de la vie économique et sociale de ces pays n’échappe à l’emprise du secteur informel. Mais en même temps l’essor notable des nouvelles technologies l’avènement d’Internet, et, plus récemment, de l’expansion de la téléphonie mobile jusques dans les zones les plus reculées de ces pays, crée un nouvel environnement technologique et politique. Ce dernier est porteur d'opportunités économiques qui contribuent à la création d’emplois et d’activités créatrices de revenus au profit de diverses catégories sociales, favorisant, le cas échéant, le passage à des activités et structures d’entrepreneuriat relevant du formel. La formalisation de ce secteur donnera aux acteurs la possibilité d’aller s’immatriculer à la CNSS pour assurer leurs vieux jours, s’offrir des assurances- maladie ou cotiser pour la retraite.

         La question qui se pose à nous maintenant est celle des moyens dont nous disposons pour mettre en œuvre de telles orientations ?

         Il existe dans certaines entreprises un dispositif appelé : « mécénat de compétences ». Ce dispositif consiste en la mise à disposition de moyens humains au profit de certaines associations. Nous avons travaillé sur ce dispositif et j'ai le plaisir de vous annoncer qu'a compter du 1er juin 2019, la BNP PARISBAS va mettre un cadre à temps complet au profit de Lumassan et ce pour une durée d'un an et demi.

         Nous allons avoir dans les minutes qui suivent l'occasion de détailler cette mise à disposition et de vous présenter plus en détail la personne qui va nous rejoindre et le développement de ses missions.

         Pour apporter une conclusion sur l'esprit général de mon rapport moral, je le résumerai en rappelant que les efforts pour promouvoir un développement durable et une appropriation des actions de développement sont indissolublement liés au micro et macro environnement. Mais ils reposent

avant tout sur la volonté des Africains de faire eux mêmes.

Comme le disait déjà sans détour Axelle Kabou en 1991: « L'Afrique ne se meurt pas: elle se suicide »... «  Les Africains sont largement persuadés que leur destin doit être pris en charge par des étrangers »... « Les injections massives de capitaux n'y pourront rien »...  « Dès lors, les aider à se développer c'est d'abord les encourager à créer les conditions psychologiques de réceptivité au changement; c'est favoriser l'émergence d'un vaste débat résolument décomplexé sur leur volonté de développement ».

NOTE

1.Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développement?, Paris, L'Harmattan, 1991, p. 27

Axelle Kabou (née en 1955 à Douala) est expert en communication stratégique. Née au Cameroun, de nationalité française et sénégalaise. Axelle Kabou est spécialiste du développement, consultante en stratégie et ancienne haute fonctionnaire